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Au moment d'écrire ces quelques lignes de présentation de Socrate, je ressens
l'appréhension, la difficulté de parler d'un homme envers lequel on éprouve une
véritable vénération.
Mais l'espoir que, grâce à cette première initiation à l'Histoire de la
Pensée, plusieurs lecteurs prendront la décision de lire au moins "l'Apologie"
et seront ainsi invités à se convertir à la justice et au vrai bonheur, suffit à
vaincre cette appréhension.
En lisant le chapitre précédent, consacré aux présocratiques, l'un ou
l'autre lecteur a sans doute eu l'impression de perdre son temps. Il fallait
pourtant avoir une idée de ces philosophes pour pouvoir apprécier Socrate en le
comparant à ceux qui l'on précédé.
Pierre Boutang remarque qu'aucun chrétien n'a l'idée de rechercher le nom de
Jésus dans un répertoire des saints. On pourrait en dire autant de Socrate pour
une liste de Philosophes, car il est leur modèle. Tout d'abord parce qu'il
cherche la vérité rationnellement, il meurt martyr parce qu'il ne veut pas
renoncer à la proclamer alors qu'il reconnaît qu'il ne sait rien, mais
croit que "Dieu n'abandonne pas l'homme juste".
Ensuite parce qu'il montre l'exemple en considérant que le choix éthique est la
question centrale.
Enfin, parce qu'il exprime clairement et simplement les arguments pour défendre
ses convictions.
GENRE DE VIE
Plutôt qu'une biographie de Socrate, né à Athènes en -469 d'un père sculpteur,
et d'une mère sage-femme, il faut décrire son genre de vie. Il ne s'agit pas
d'un professeur qui, dans une classe vend des cours, mais d'un homme pauvre,
sans souliers, sans manteau, sans chapeau, qui consacre tout son temps à
circuler dans la ville, entre dans n'importe quelle maison, interpelle les gens
dans la rue : "Arrêtes-toi, causons un peu, où vas-tu ? que cherches-tu ? est-ce
le VRAI BIEN ? ".
UNE VOCATION PROPHÉTIQUE
Il explique lui-même la raison de son comportement dans son "Apologie" publiée
par Platon trois ans après la mort de Socrate. "La raison d'un tel
comportement... c'est quelque divinité, quelque "daimon" qui me fait entendre sa
voix. Cela a commencé dès mon enfance. Il s'agit de je ne sais quelle voix qui,
lorsqu'elle se fait entendre me détourne toujours de ce que je vais faire", (si
c'est mal).
Cette voix intérieure et divine dont parle Socrate est-ce seulement la voix de
la conscience qui raisonne en tout coeur humain? s'agit-il d'une mystique dont
nous parlerons d'une manière plus détaillée en présentant PLOTIN (voir 1ère
période chap. 4 )
"Cette voix divine me donne pour consigne de nous examiner vous et moi".
Alors qu'on lui promet de le libérer s'il renonce à ce genre de vie, Socrate
refuse.
"J'obéirai au dieu plutôt qu'à vous. Ne vous attendez pas à ce que je cesse de
philosopher et de faire la leçon à n'importe lequel d'entre vous, au hasard des
rencontres, et dans ma manière habituelle".
Socrate n'hésite pas à voir une force divine dans sa vie.
Socrate a reçu une confirmation de sa mission philosophique. Un ami, Ceréphon a
entendu de l'oracle de Delphes "qu'il n'y a pas d'homme plus savant que
Socrate".
Socrate, persuadé de n'être pas savant commence une enquête auprès des hommes
politiques, des poètes, des artisans, auprès de tous ceux qui ont la réputation
d'être savants... Les questions incessantes de Socrate montrent que chacun de
ses "savants" croyaient l'être mais ne l'étaient pas. Cette découverte se fait
chaque fois en public, car Socrate a entraîné peu à peu toute une bande de
jeunes athéniens qui se passionnent pour ces dialogues qui aboutissent toujours
à la même conclusion. La différence entre ces savants et Socrate c'est qu'ils ne
savent rien, de même que Socrate. Mais Socrate, lui, sait qu'il ne sait rien,
alors que les autres imaginent savoir quelque chose!!!
"Le dieu de Delphes (en disant que Socrate est le plus savant des hommes) a
voulu dire que la science humaine a peu de valeur, et même n'en a aucune".
RÉVOLUTION MORALE
Non seulement Socrate nous fait comprendre la vanité de nos prétentions mais
nous invite à la conversion morale comme l'explique Alcibiade dans "le Banquet"
:
"Quand j'entends Socrate, le coeur me bat et je verse des larmes. A entendre
Périclès ou d'autres orateurs, je trouvais qu'ils parlaient bien, mais ne
ressentais rien de pareil. Cela ne faisait pas de tumulte dans mon âme, cette
rage d'être réduit en esclavage (par le goût de la politique)".
"Socrate me force à avouer que je néglige ma propre destination (mort, bonheur)
pour les affaires d'Athènes (politique)."
"Sa violence m'oblige à fuir en me bouchant les oreilles. Sans quoi je viendrais
m'asseoir auprès de lui et attendrais ainsi la vieillesse. C'est uniquement
devant cet homme qu'il m'est arrivé d'avoir honte. Il n'y a que devant lui que
je rougisse. Au fond de moi je sais qu'il n'y a rien a objecter à ce qu'il
m'ordonne de faire. Mais dès que je le quitte, je sais aussi que je céderai à
mon désir de popularité".
"J'ai honte de mes paroles non tenues. Souvent je souhaite qu'il meure. Mais
alors je sais que je serais encore plus malheureux. D'un mot, je ne sais
que faire de cet homme. Il m'a mordu au point où il est le plus douloureux
d'être mordu, le coeur, l'âme, ou quelque nom qu'on lui donne.
AU MOINS UNE LECTURE
Ce que je voudrais obtenir en rédigeant cette présentation ce n'est pas d'abord
d'aider l'un ou l'autre lecteur à préparer un examen de philosophie mais de le
convaincre de lire au moins un texte philosophique de l'Antiquité. Il le
trouvera curieusement dans un livre de PLATON. Le titre est "Apologie de
Socrate". Plusieurs éditions en livre de poche existent, souvent avec d'autres
oeuvres de Platon où nous avons un portrait de Socrate. Malheureusement, dans
les autres oeuvre de Platon, celui-ci met dans la bouche de Socrate ses propres
convictions et nous le verrons, trahit souvent Socrate...
On peut supposer que l'Apologie publiée trois ans après la morte de
Socrate ne déforme pas sa pensée. Malgré l'envie de le citer longuement
il faut se contenter d'une présentation rapide en résumant la réponse de Socrate
aux cinq questions de la philosophie.
1° ÉPISTÉMOLOGIE de SOCRATE
Face à la religion athénienne qui est communautaire, civique et rituelle,
Socrate a envers Dieu une relation personnelle, intérieure et morale, à l'écoute
de son "daimon" (Dieu qui lui parle). Il est philosophe dans le sens où il
argumente rationnellement. Un exemple se trouve dans le "Criton", l'écoute des
"Lois". "Nous nous abandonnerons au seul discours, à la seule RAISON... si
toutefois tu crois réussir (à me convaincre) parles". Réponse : "je n'ai
rien à redire, Socrate".
Cette réflexion rationnelle aboutit le plus souvent à la conclusion : "je
sais que je ne sais pas". Mais cet "Agnosticisme" évite le "relativisme"
grâce à la voix daïmonique pour lui-même et à la "maïeutique" dans le dialogue
avec les autres.
"Quant à cet art d'accoucher, moi et ma mère, nous l'avons reçu de Dieu...
Livres-toi à moi... Réponds à mes questions... Si tu fais un petit mal formé, ne
te fâche pas, si je le regrette au loin", dit Socrate à son
interlocuteur...
Persuadé que chaque homme a un cheminement unique et intérieur, Socrate favorise
l'accouchement des idées par ses questions.
Quand à l'ironie de Socrate, qui est réelle, elle a fait croire que Socrate sait
et fait semblant de ne pas savoir... La plupart des philosophies qui vont naître
après Socrate auront comme origine une interprétation incomplète : surévaluation
de la connaissance chez Platon, mépris de la connaissance chez les sceptiques,
etc...
2° ONTOLOGIE de SOCRATE
Socrate réagit aux préoccupations des philosophes que nous avons énumérés au
chapitre précédent et qui se préoccupaient uniquement d'ontologie ou plutôt de
physique : " Tout est eau, tout est air, tout est nombre...". Socrate en veut
pas déprécier cette "science" si quelqu'un y est maître. "Mais vraiment,
Athéniens, de telles préoccupations me sont totalement étrangères".
LA PROVIDENCE
Au sujet de Dieu (Socrate emploi semble-t-il indistinctement le singulier et le
pluriel ???) ce qu'il faut souligner c'est la CONFIANCE de Socrate dans la
PROVIDENCE DIVINE. Ce point est le fondement de son ÉTHIQUE et de son
ESCHATOLOGIE :
"Vous ne devez penser qu'à cette seule VÉRITÉ : Qu'il n'existe aucun mal pour
l'homme de bien, ni durant sa vie, ni après son dernier soupir et que les dieux
ne se désintéressent jamais de son sort. Ce qui m'arrive aujourd'hui (il
est condamné à mort) n'est pas l'effet du hasard".
3° ÉTHIQUE de SOCRATE
La contribution décisive de Socrate se situe ici. On connaît son insistance :
"Connais-toi toi même", "Occupe-toi de toi même".
Avant d'essayer de connaître le monde extérieur (ontologie 2°) ou la société
(politique 4°) ...Choisir le vrai bonheur (éthique 3°).
"Je n'ai d'autres occupation que d'aller et venir en cherchant à vous persuader,
jeunes et vieux à ne pas vous soucier d'abord de votre CORPS et de votre
FORTUNE avec autant de passion que votre ÂME et de son perfectionnement". Et la
valeur suprême est clairement définie : "Ne mets ni tes enfants, ni ta vie, ni
qui que ce soit au-dessus de la justice, afin que, arrivé chez l'Hadès (au-delà
de la mort) tu puisses invoquer tous ces arguments pour ta défense auprès de
ceux qui commande là-bas".
Il encourage les athéniens. "Au lieu de me condamner à mort, il vaut mieux
employer un procédé de LIBÉRATION plus beau et plus pratique : faire des
efforts pour devenir le meilleur possible.
La plus belle expression de la morale de Socrate, nous l'avons déjà citée :
"J'obéirai au dieu plutôt qu'à vous".
La lecture de l'Apologie de Socrate peut être une étape décisive dans la vie de
chacun de nous, en nous invitant à réfléchir avant tout à ma propre conduite
morale. "Connais-toi toi même". " Même SEUL, même au prix de sa vie, ne pas
cesser de faire le bien". (En trouvant ainsi le vrai bonheur).
4° LA POLITIQUE de SOCRATE
Socrate considère la politique comme relativement secondaire. "Je n'ai pas le
temps de m'intéresser aux affaires de la ville d'une manière qui compte". "Il
est nécessaire pour celui qui veut vraiment combattre pour la justice et
conserver ses jours un peu de temps, qu'il demeure simple particulier". Il faut
cependant rappeler que Socrate au péril de sa vie, refuse de condamner
des généraux qu'il croit innocents. Dans le Criton, nous voyons d'autre part que
Socrate n'est pas l'anarchiste que certains dénoncent. D'après lui, si des lois
semblent injustes, il faut :
- Ou bien les faire modifier par la
persuasion
- Ou bien se retirer d'une ville dont
on n'accepte pas les lois,
- Ou s'y soumettre.
5° MORT : LA QUESTION DÉCISIVE
Même en se limitant au texte de l'Apologie, chacun de nous peut apprécier les
nuances de la pensée de Socrate concernant la mort.
1/ PERSONNE NE SAIT
"Craindre la mort, c'est s'imaginer connaître ce qu'on ne connaît pas. En effet,
personne ne connaît la mort, ni ne sait si elle n'est pas, par hasard, pour
l'homme le plus grand des biens. Cependant on la craint comme si on savait d'une
manière certaine qu'elle est le plus grand des maux. Or n'est-ce pas l'ignorance
la plus honteuse que de croire savoir ce qu'on ne sait pas...".
Malgré l'envie de citer longuement ces paroles de sagesse, il faut être succinct
puisqu'il ne s'agit que d'une initiation, une invitation à la lecture
personnelle.
2/ DEUX HYPOTHÈSES
Socrate envisage "deux hypothèses qui toutes deux font espérer grandement que la
mort est un bien".
"De deux choses l'une avec la mort".
- "Si elle se confond avec la disparition de la conscience, si elle est comme
une sorte de sommeil dans lequel une fois endormi, on ne voit rien même en
songe, la mort serait un merveilleux avantage" (mieux que la vie du grand roi de
Perse).
- "Si la mort est comme un voyage d'ici à un autre lieu, si, délivré de ces
soi-disant juges, on y trouve de véritables juges, le voyage serait-il à
dédaigner ?...". "Quel merveilleux passe-temps pour moi de sonder ceux de
là-bas, comme ceux d'ici, pour savoir qui d'entre eux est savant, qui croit
l'être et ne l'est pas...". "Un des nombreux avantages que les gens de là-bas
ont sur ceux d'ici c'est de posséder l'immortalité, SI du moins ce qu'on
dit est vrai".
Les derniers mots montrent un Socrate hésitant, mais un signe le persuade
que la mort est un bien : "ni ce matin je n'ai été retenu par le signe de la
divinité, ni à aucun moment de la discussion...j'ai là une preuve éclatante"!
Sur cette question de la mort il faut surtout méditer sur ce que Socrate dit de
la Providence et que nous avons cité dans le passage sur l'ontologie (2°).
3/ SECRET DE DIEU
Jusqu'à la dernière parole de l'Apologie, Socrate reconnaît son ignorance
relative : "Voici qu'il est l'heure de nous quitter pour aller, moi vers la
mort, vous vers la vie. Qui, de vous ou de moi, s'en va vers la meilleure
affaire, c'est le secret de la Divinité seule !".
LE PROCÈS - LA MORT - LE REGRET
Il faudrait raconter le procès, citer le "Phedon" qui nous fait assister à la
mort de Socrate, condamné à boire un poison mortel.
Un très beau petit livre "Socrate" de Festugières (collection livre de vie)
permettra au lecteur qui le désire, d'en connaître un peu plus et lui
donnera le goût d'aller plus loin. De toutes façons "l'Histoire de la Pensée" va
désormais se situer par rapport à ce "premier sage", comme l'appelle BERGSON, ce
"mandataire éternel" comme l'appelle KIERKEGAARD. Seul regret que cet homme, "la
plus belle figure de l'antiquité" n'ait pas entendu la Révélation évangélique de
l'amour venu de Dieu, du pardon pour l'homme injuste et de la résurrection, même
si d'après Justin, il a reçu une certaine lumière de "Celui qui éclaire tout
homme venant en ce monde".
suite PP chap.5
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