PP
Chap 4

                                                  

   SOCRATE (-469 -399)
le choix moral personnel
 

 

 

Sommaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

sommaire

 

Au moment d'écrire ces quelques lignes de présentation de Socrate, je ressens l'appréhension, la difficulté de parler d'un homme envers lequel on éprouve une véritable vénération.
Mais l'espoir que, grâce à cette première initiation à  l'Histoire de la Pensée, plusieurs lecteurs prendront la décision de lire au moins "l'Apologie" et seront ainsi invités à se convertir à la justice et au vrai bonheur, suffit à vaincre cette appréhension.
En lisant le chapitre précédent, consacré aux présocratiques, l'un ou  l'autre lecteur a sans doute eu l'impression de perdre son temps. Il fallait pourtant avoir une idée de ces philosophes pour pouvoir apprécier Socrate en le comparant à ceux qui l'on précédé.
Pierre Boutang remarque qu'aucun chrétien n'a l'idée de rechercher le nom de Jésus dans un répertoire des saints. On pourrait en dire autant de Socrate pour une liste de Philosophes, car il est leur modèle. Tout d'abord parce qu'il cherche la vérité rationnellement, il meurt martyr parce qu'il ne veut pas renoncer à la proclamer alors qu'il reconnaît qu'il  ne sait rien, mais croit que "Dieu n'abandonne pas l'homme juste".
Ensuite parce qu'il montre l'exemple en considérant que le choix éthique est la question centrale.
Enfin, parce qu'il exprime clairement et simplement les arguments pour défendre ses convictions.

GENRE DE VIE
Plutôt qu'une biographie de Socrate, né à Athènes en -469 d'un père sculpteur, et d'une mère sage-femme, il faut décrire son genre de vie. Il ne s'agit pas d'un professeur qui, dans une classe vend des cours, mais d'un homme pauvre, sans souliers, sans manteau, sans chapeau, qui consacre tout son temps à circuler dans la ville, entre dans n'importe quelle maison, interpelle les gens dans la rue : "Arrêtes-toi, causons un peu, où vas-tu ? que cherches-tu ? est-ce le VRAI BIEN ? ".

UNE VOCATION PROPHÉTIQUE
Il explique lui-même la raison de son comportement dans son "Apologie" publiée par Platon trois ans après la mort de Socrate. "La raison d'un tel comportement... c'est quelque divinité, quelque "daimon" qui me fait entendre sa voix. Cela a commencé dès mon enfance. Il s'agit de je ne sais quelle voix qui, lorsqu'elle se fait entendre me détourne toujours de ce que je vais faire", (si c'est mal).
Cette voix intérieure et divine dont parle Socrate est-ce seulement la voix de la conscience qui raisonne en tout coeur humain? s'agit-il d'une mystique dont nous parlerons d'une manière plus détaillée en présentant PLOTIN (voir 1ère période chap. 4 )
"Cette voix divine me donne pour consigne de nous examiner vous et moi". Alors qu'on lui promet de le libérer s'il renonce à ce genre de vie, Socrate refuse.
"J'obéirai au dieu plutôt qu'à vous. Ne vous attendez pas à ce que je cesse de philosopher et de faire la leçon à n'importe lequel d'entre vous, au hasard des rencontres, et dans ma manière habituelle".
Socrate n'hésite pas à voir une force divine dans sa vie.
Socrate a reçu une confirmation de sa mission philosophique. Un ami, Ceréphon a entendu de l'oracle de Delphes "qu'il n'y a pas d'homme plus savant que Socrate".
Socrate, persuadé de n'être pas savant commence une enquête auprès des hommes politiques, des poètes, des artisans, auprès de tous ceux qui ont la réputation d'être savants... Les questions incessantes de Socrate montrent que chacun de ses "savants" croyaient l'être mais ne l'étaient pas. Cette découverte se fait chaque fois en public, car Socrate a entraîné peu à peu toute une bande de jeunes athéniens qui se passionnent pour ces dialogues qui aboutissent toujours à la même conclusion. La différence entre ces savants et Socrate c'est qu'ils ne savent rien, de même que Socrate. Mais Socrate, lui, sait qu'il ne sait rien, alors que les autres imaginent savoir quelque chose!!!
"Le dieu de Delphes (en disant que Socrate est le plus savant des hommes) a voulu dire que la science humaine a peu de valeur, et même n'en a aucune".

RÉVOLUTION MORALE
Non seulement Socrate nous fait comprendre la vanité de nos prétentions mais nous invite à la conversion morale comme l'explique Alcibiade dans "le Banquet" :
"Quand j'entends Socrate, le coeur me bat et je verse des larmes. A entendre Périclès ou d'autres orateurs, je trouvais qu'ils parlaient bien, mais ne ressentais rien de pareil. Cela ne faisait pas de tumulte dans mon âme, cette rage d'être réduit en esclavage (par le goût de la politique)".
"Socrate me force à avouer que je néglige ma propre destination (mort, bonheur) pour les affaires d'Athènes (politique)."
"Sa violence m'oblige à fuir en me bouchant les oreilles. Sans quoi je viendrais m'asseoir auprès de lui et attendrais ainsi la vieillesse. C'est uniquement devant cet homme qu'il m'est arrivé d'avoir honte. Il n'y a que devant lui que je rougisse. Au fond de moi je sais qu'il n'y a rien a objecter à ce qu'il m'ordonne de faire. Mais dès que je le quitte, je sais aussi que je céderai à mon désir de popularité".
"J'ai honte de mes paroles non tenues. Souvent je souhaite qu'il meure. Mais alors je sais que je serais encore plus malheureux.  D'un mot, je ne sais que faire de cet homme. Il m'a mordu au point où il est le plus douloureux d'être mordu, le coeur, l'âme, ou quelque nom qu'on lui donne.

AU MOINS UNE LECTURE
Ce que je voudrais obtenir en rédigeant cette présentation ce n'est pas d'abord d'aider l'un ou l'autre lecteur à préparer un examen de philosophie mais de le convaincre de lire au moins un texte philosophique de l'Antiquité. Il le trouvera curieusement dans un livre de PLATON. Le titre est "Apologie de Socrate". Plusieurs éditions en livre de poche existent, souvent avec d'autres oeuvres de Platon où nous avons un portrait de Socrate. Malheureusement, dans les autres oeuvre de Platon, celui-ci met dans la bouche de Socrate ses propres convictions et nous le verrons, trahit souvent Socrate...
On peut supposer que l'Apologie publiée trois ans après la morte de Socrate ne déforme pas sa pensée. Malgré l'envie de le citer longuement il faut se contenter d'une présentation rapide en résumant la réponse de Socrate aux cinq questions de la philosophie.

1° ÉPISTÉMOLOGIE de SOCRATE
Face à la religion athénienne qui est communautaire, civique et rituelle, Socrate a envers Dieu une relation personnelle, intérieure et morale, à l'écoute de son "daimon" (Dieu qui lui parle). Il est philosophe dans le sens où il argumente rationnellement. Un exemple se trouve dans le "Criton", l'écoute des "Lois". "Nous nous abandonnerons au seul discours, à la seule RAISON... si toutefois tu crois réussir (à me convaincre) parles". Réponse : "je n'ai rien à redire, Socrate".
Cette réflexion rationnelle aboutit le plus souvent à la conclusion : "je sais que je ne sais pas". Mais cet "Agnosticisme" évite le "relativisme" grâce à la voix daïmonique pour lui-même et à la "maïeutique" dans le dialogue avec les autres.
"Quant à cet art d'accoucher, moi et ma mère, nous l'avons reçu de Dieu... Livres-toi à moi... Réponds à mes questions... Si tu fais un petit mal formé, ne te fâche pas, si je le regrette au  loin", dit Socrate à son interlocuteur...
Persuadé que chaque homme a un cheminement unique et intérieur, Socrate favorise l'accouchement des idées par ses questions.
Quand à l'ironie de Socrate, qui est réelle, elle a fait croire que Socrate sait et fait semblant de ne pas savoir... La plupart des philosophies qui vont naître après Socrate auront comme origine une interprétation incomplète : surévaluation de la connaissance chez Platon, mépris de la connaissance chez les sceptiques, etc...

2° ONTOLOGIE de SOCRATE
Socrate réagit aux préoccupations des philosophes que nous avons énumérés au chapitre précédent et qui se préoccupaient uniquement d'ontologie ou plutôt de physique : " Tout est eau, tout est air, tout est nombre...". Socrate en veut pas déprécier cette "science" si quelqu'un y est maître. "Mais vraiment, Athéniens, de telles préoccupations me sont totalement étrangères".
LA PROVIDENCE
Au sujet de Dieu (Socrate emploi semble-t-il indistinctement le singulier et le pluriel ???) ce qu'il faut souligner c'est la CONFIANCE de Socrate dans la PROVIDENCE DIVINE. Ce point est le fondement de son ÉTHIQUE et de son ESCHATOLOGIE :
"Vous ne devez penser qu'à cette seule VÉRITÉ : Qu'il n'existe aucun mal pour l'homme de bien, ni durant sa vie, ni après son dernier soupir et que les dieux ne se désintéressent jamais  de son sort. Ce qui m'arrive aujourd'hui (il est condamné à mort) n'est pas l'effet du hasard".

3° ÉTHIQUE de SOCRATE
La contribution décisive de Socrate se situe ici. On connaît son insistance : "Connais-toi toi même", "Occupe-toi de toi même".
Avant d'essayer de connaître le monde extérieur (ontologie 2°) ou la société (politique 4°) ...Choisir le vrai bonheur (éthique 3°).
"Je n'ai d'autres occupation que d'aller et venir en cherchant à vous persuader, jeunes et vieux à ne pas vous soucier d'abord de votre CORPS  et de votre FORTUNE avec autant de passion que votre ÂME et de son perfectionnement". Et la valeur suprême est clairement définie : "Ne mets ni tes enfants, ni ta vie, ni qui que ce soit au-dessus de la justice, afin que, arrivé chez l'Hadès (au-delà de la mort) tu puisses invoquer tous ces arguments pour ta défense auprès de ceux qui commande là-bas".
Il encourage les athéniens. "Au lieu de me condamner à mort, il vaut mieux employer un procédé de LIBÉRATION  plus beau et plus pratique : faire des efforts pour devenir le meilleur possible.
La plus belle expression de la morale de Socrate, nous l'avons déjà citée : "J'obéirai au dieu plutôt qu'à vous".
La lecture de l'Apologie de Socrate peut être une étape décisive dans la vie de chacun de nous, en nous invitant à réfléchir avant tout à ma propre conduite morale. "Connais-toi toi même". " Même SEUL, même au prix de sa vie, ne pas cesser de faire le bien". (En trouvant ainsi le vrai bonheur).

4° LA POLITIQUE de SOCRATE
Socrate considère la politique comme relativement secondaire. "Je n'ai pas le temps de m'intéresser aux affaires de la ville d'une manière qui compte". "Il est nécessaire pour celui qui veut vraiment combattre pour la justice et conserver ses jours un peu de temps, qu'il demeure simple particulier". Il faut cependant rappeler que Socrate au péril de sa vie, refuse de condamner des généraux qu'il croit innocents. Dans le Criton, nous voyons d'autre part que Socrate n'est pas l'anarchiste que certains dénoncent. D'après lui, si des lois semblent injustes, il faut :
        - Ou bien les faire modifier par la persuasion
        - Ou bien se retirer d'une ville dont on n'accepte pas les lois,
        - Ou s'y soumettre.

5° MORT : LA QUESTION DÉCISIVE
Même en se limitant au texte de l'Apologie, chacun de nous peut apprécier les nuances de la pensée de Socrate concernant la mort.
1/ PERSONNE NE SAIT
"Craindre la mort, c'est s'imaginer connaître ce qu'on ne connaît pas. En effet, personne ne connaît la mort, ni ne sait si elle n'est pas, par hasard, pour l'homme le plus grand des biens. Cependant on la craint comme si on savait d'une manière certaine qu'elle est le plus grand des maux. Or n'est-ce pas l'ignorance la plus honteuse que de croire savoir ce qu'on ne sait pas...".
Malgré l'envie de citer longuement ces paroles de sagesse, il faut être succinct puisqu'il ne s'agit que d'une initiation, une invitation à la lecture personnelle.

2/ DEUX  HYPOTHÈSES
Socrate envisage "deux hypothèses qui toutes deux font espérer grandement que la mort est un bien".
"De deux choses l'une avec la mort".
- "Si elle se confond avec la disparition de la conscience, si elle est comme une sorte de sommeil dans lequel une fois endormi, on ne voit rien même en songe, la mort serait un merveilleux avantage" (mieux que la vie du grand roi de Perse).
- "Si la mort est comme un voyage d'ici à un autre lieu, si, délivré de ces soi-disant juges, on  y trouve de véritables juges, le voyage serait-il à dédaigner ?...". "Quel merveilleux passe-temps pour moi de sonder ceux de là-bas, comme ceux d'ici, pour savoir qui d'entre eux est savant, qui croit l'être et ne l'est pas...". "Un des nombreux avantages que les gens de là-bas ont sur ceux d'ici c'est de posséder l'immortalité, SI du moins ce qu'on dit est vrai".
Les derniers mots montrent un Socrate  hésitant, mais un signe le persuade que la mort est un bien : "ni ce matin je n'ai été retenu par le signe de la divinité, ni à aucun moment de la discussion...j'ai là une preuve éclatante"!
Sur cette question de la mort il faut surtout méditer sur ce que Socrate dit de la Providence et que nous avons cité dans le passage sur l'ontologie (2°).

3/ SECRET DE DIEU
Jusqu'à la dernière parole de l'Apologie, Socrate reconnaît son ignorance relative : "Voici qu'il est l'heure de nous quitter pour aller, moi vers la mort, vous vers la vie. Qui, de vous ou de moi, s'en va vers la meilleure affaire, c'est le secret de la Divinité seule !".
 

LE PROCÈS  - LA MORT - LE REGRET
Il faudrait raconter le procès, citer le "Phedon" qui nous fait assister à la mort de Socrate, condamné à boire un poison mortel.
Un très beau petit livre "Socrate" de Festugières (collection livre de vie) permettra au lecteur qui le désire, d'en connaître un  peu plus et lui donnera le goût d'aller plus loin. De toutes façons "l'Histoire de la Pensée" va désormais se situer par rapport à ce "premier sage", comme l'appelle BERGSON, ce "mandataire éternel" comme l'appelle KIERKEGAARD. Seul regret que cet homme, "la plus belle figure de l'antiquité" n'ait pas entendu la Révélation évangélique de l'amour venu de Dieu, du pardon pour l'homme injuste et de la résurrection, même si d'après Justin, il a reçu une certaine lumière de "Celui qui éclaire tout homme venant en ce monde".

suite PP chap.5