TP
Chap 1

                                                  
 RÉACTIONS - RÉVOLUTIONS - RÉDUCTIONS
(1600 - 1993)
 

 

 

Sommaire


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

sommaire

 

Un mot peut caractériser l'Histoire de la Pensée de 1600 à nos jours. Ce mot c'est "EXCÈS".
        - Chez les Grecs l'excès, "l'hybris", la démesure était considérée comme la racine de toutes les fautes et la vertu suprême était la modération qui accepte les limites humaines.
        - Certes, la Révélation évangélique avait apporté un bonheur infini et les voûtes des cathédrales s'élancent à la verticale mais l'ensemble reste harmonieux, équilibré tout comme le chant grégorien qui l'emplit. La divinisation de l'homme ne supprime pas l'humilité mais la suppose.
        - Désormais, et dans tous les domaines, les excès dans un sens vont provoquer des excès dans l'autre. La raison ne vaut rien dit l'un, la raison peut tout dit l'autre. La Bible seule dit Luther,  pas de révélation disent les rationalistes et ainsi de suite.
Avec une naïveté désolante, les modernes vont prétendre rejeter toutes les traditions du passé, alors que, pendant des siècles, tout étudiant devait faire ses preuves en rédigeant des COMMENTAIRES des œuvres anciennes.
Descartes ne veut "pas savoir s'il y a eu des hommes sur la terre avant lui".
En 1991, dans un Centre de théologie, un professeur proclame : "tous les cours qui datent de plus de trois ans, mettez-les dans une armoire, ils ne valent plus rien". Certes il ne faut pas accepter une thèse parce qu'elle est ancienne, mais il est encore plus stupide de se soumettre à une mode parce qu'elle est nouvelle.
Plus profondément, ces quatre siècles vont réduire le champ de l'activité humaine à l'une des trois fonctions que nous avons énumérées (voir Épistémologie 1°e : distinguer les trois domaines). Pendant ces quatre siècles, des hommes ne vont plus contempler le monde mais le dominer, le violer et même avec Nietzsche et Sartre refuser toute idée d'ordre. (TP8 et TP11)
Sur ce point comme sur d'autres, la postmodernité récente conteste ces quatre siècles de démesure. La force du mouvement écologiste nous invite de nouveau à contempler, avant de vouloir dominer.

I. CINQ RÉACTIONS
L'origine de ces excès peut sans doute  être recherchée dans des réactions justifiées par d'autres excès. Prendre conscience de cette "loi" de l'Histoire de la Pensée au cours des quatre derniers siècles peut nous inviter à la mesure dans nos désaccords.

1/ Contre les universitaires
Vers 1600, les Universités sont devenues stériles et elles condamnent toutes les idées nouvelles. Descartes, Pascal et beaucoup d'autres proposent leurs découvertes en dehors du cadre universitaire. De nos jours également, il ne faut pas se contenter de lire les ouvrages écrits dans le "latin" contemporain, je veut dire le langage ou le jargon universitaire... Il est peut-être plus difficile qu'on ne le pense de sortir de la pensée "correcte", de la pensée "unique" c'est-à-dire de la pensée dominante acceptée par (presque) tout le monde...

2/ Contre les autorités ecclésiastiques
Très souvent, les philosophes de la période moderne s'opposent également aux autorités ecclésiastiques. L'épisode le plus célèbre de cette opposition est l'affaire Galilée. Ceux qui considèrent cette affaire comme importante peuvent lire le dossier qui y est consacré dans la Documentation Catholique du 20.12 1992 (p1071 à 1074) ou lire Galillée-Académie Pontificale des Sciences)
ÉVANGILE OU CHRISTIANISMES
A cette époque et de nos jours, on trouve non seulement des gens sans culture mais même des écrivains qui sont incapables de distinguer le comportement ou les déclarations plus ou moins officielles d'un dignitaire ecclésiastique et la Révélation évangélique elle-même. Bien sûr,  la communion avec la Tradition Ecclésiale est indispensable pour garder l'équilibre vivant de la foi chrétienne mais la manière traditionnelle de lire les Évangiles dans les liturgies chrétiennes montre justement que ce sont ces quatre évangiles qui constituent la référence pour tous et pour chacun. C'est justement ce que Jean-Paul II a rappelé dans son encyclique "La splendeur de la Vérité" (du 5.10.93). Cette possibilité pour chaque chrétien de lire personnellement les évangiles n'enlève rien à la responsabilité des autorités ecclésiastiques des siècles passés qui ont voulu imposer comme une évidence ce qui doit être le choix d'une confiance. Elles ont présenté la toute puissance de Dieu en occultant l'Évangile de la miséricorde. De nos jours, d'autres trahisons de l'Évangile sont plus fréquentes.
Freud est cité au  lieu de Jean. L'effort qui définit l'homme est condamné au profit de l'abandon à l'instant et à l'instinct. Aujourd'hui donc plus encore que jadis, se référer au texte des quatre Évangiles devient indispensable.

3/ Contre le Naturalisme
Les réactions qui s'opposent aux autorités ecclésiastiques sont très connues. Ce qui l'est moins ce sont les réactions à ce naturalisme et à ce rationalisme. Ces réactions sont elles aussi excessives.
Dès les premières vagues de la réduction naturaliste avec Descartes qui veut tout réduire à la nature, à la raison, aux mathématiques, il y a la réaction de Pascal  qui disqualifie le naturalisme mais qui succombe un peu à l'excès inverse en méprisant par trop l'intelligence alors qu'il est lui-même un génie multiforme.
L'excès antirationaliste sera encore plus net chez Kierkegaard. Il s'oppose au délire hégélien du rationalisme en proposant le fidéisme. (TP8)

4/ Contre la modernité
Même chez les non-chrétiens, la post-modernité  qui se manifeste depuis 1980 semble menacée par un anti-intellectualisme qui  n'est pas plus sain que la rationalisme qu'il rejette.

5/ Contre les autorités politiques
Enfin plusieurs philosophes réagissent également tout au long des quatre siècles contre les autorités politiques. Cette dernière opposition nous conduit à résumer le contexte politique de cette période par un mot : "révolutions".
 

II. RÉVOLUTIONS
S'il faut choisir un mot pour caractériser les quatre derniers siècles au point de vue politique, celui de révolution s'impose. Cependant, avant d'énumérer les "cinq révolutions" les plus importantes, il faut rappeler les trois formes du nationalisme qui également ont eu une influence importante dans la dernière partie de la seconde période. (PC3 voir alinéa 7 L'ordre médiéval bouleversé)
1. Le rôle des princes dans la naissance du nationalisme a été souligné. Certaines populations d'Europe passent successivement sous le contrôle d'un roi espagnol, puis d'un roi autrichien, puis d'un roi hollandais... Un mariage princier décide à cette époque de la destinée d'un peuple et la première forme de  nationalisme est donc royale.
2. Le nationalisme populaire se développe surtout lorsque la République née de la Révolution française est menacée par l'alliance des rois étrangers.
Ce nationalisme va entraîner des guerres successives en Europe et spécialement entre la France et l'Allemagne et va culminer avec le fascisme d'Hitler en Allemagne, de Mussolini en Italie, de Maurras avec l'Action française. Ce nationalisme populaire manipulé par les dirigeants a entraîner deux guerres mondiales, des dizaines de millions de morts et le déclin de l'Europe. Désormais ce nationalisme est ébranlé par l'individualisme, le relativisme, le régionalisme, et la mondialisation de l'économie.
3. Une troisième forme du nationalisme a été la réaction anticoloniale des pays colonisés. En 1884, à Berlin,  les européens s'étaient partagés l'Afrique. La quatrième révolution que nous devons mentionner a été celle du Tiers Monde qui pendant 30 ans après les indépendances a succombé souvent au nationalisme du rejet de l'étranger colonisateur.
Dans ces pays également, le rejet systématique de tout ce qui semblait étranger fait place à un jugement plus équilibré. Tout en essayant de garder leurs valeurs propres les anciens pays colonisés adoptent dans divers domaines les valeurs et les méthodes qui ont fait  leurs preuves ailleurs.

LES CINQ RÉVOLUTIONS
Plus que le concept de nationalisme c'est l'idée de RÉVOLUTION qui a marqué les 4 derniers siècles du deuxième millénaire.

     1/ LA RÉVOLUTION AMÉRICAINE est sans doute la plus importante dans "l'Histoire de la Pensée". La déclaration d'indépendance du 4 juillet 1776 considère comme une vérité évidente "que les hommes ont été créés égaux et qu'ils ont reçu de leur CRÉATEUR certains droits inaliénables parmi  lesquels, la vie, la liberté, la recherche du bonheur". Ce sont les Américains influencés par les libertés anglaises qui ont apporté à l'humanité le progrès décisif dans la philosophie politique : la séparation des pouvoirs. Nous y reviendrons en étudiant TOCQUEVILLE.

      2/ LA RÉVOLUTION FRANÇAISE de 1789 s'oppose aux excès du pouvoir royal. Elle dégénère rapidement en anarchie, en terreur, en persécutions. Napoléon prend le contrôle de la France et l'entraîne dans des guerres "glorieuses", une boucherie de trois millions de morts.

     3/ LA RÉVOLUTION RUSSE de 1917 couronne une succession de révoltes dans de nombreux pays d'Europe. Elle s'oppose aux abus d'un autre pouvoir : celui des propriétaires, des moyens de production de l'économie moderne. Le 25 décembre 1991, le discours de démission de M. Gorbatchev fait le bilan de cette troisième révolution. Elle avait remplacé pour un tiers de l'humanité la domination de la bourgeoisie par la dictature du Parti.

     4/ La quatrième grande Révolution est celle DES PAYS COLONISÉS. Elle s'étend sur de nombreuses années. Trois dates peuvent être choisies comme significatives :
             - 1947 Indépendance de l'Inde
             - 1960 Indépendance de plusieurs pays d'Afrique
             - 1973 Indépendance des anciennes colonies portugaises.
A partir de 1990 plusieurs pays d'Afrique rejettent le Parti Unique qui avait pris le relais de l'exploitation coloniale.

     5/ La cinquième révolution est la RÉVOLUTION EUROPÉENNE de 1989 avec une différence radicale : l'emploi de la lutte non violente enseignée à l'humanité par le plus grand homme du XXe siècle : le Mahatma GANDHI.
Désormais des élections libres seront inévitables un peu partout dans le monde.

III. RÉDUCTIONS
Le rappel du contexte politique était nécessaire. Cependant une "Histoire de la Pensée" doit surtout résumer ce qui caractérise les Philosophies. Le mot qui m'a semblé s'imposer est celui de réduction.
Sans pouvoir dire s'il a prononcé ce mot, c'est une conférence de M. Brun que nous avions invité pour un colloque de professeurs de philosophie à Fianarantsoa les 8 et 9 avril 1991 qui m'a fait prendre conscience de cette tendance dominante de la Philosophie moderne : elle réduit la Pensée à un rationalisme étroit.
Dans l'hebdomadaire catholique malgache LAKROA du 5 mai 1991 un article intitulé "la Modernité Contestée" disait ma découverte : "Avec Descartes, explique M. Jean Brun nous assistons à  une première réduction de l'homme. Alors que  l'homme auparavant se comprenait comme un drame, il est réduit avec Descartes à un système de mesures allons plus loin à des mathématiques. La nature était contemplée, respectée. Elle va désormais être mesurée, dominée, exploitée, menacée de destruction. La prise de conscience de ce danger est désormais de plus en plus répandue par le mouvement écologiste."
Cette conférence de M. Brun, ainsi que son livre "L'Europe philosophe" Stock 1988 nous invitaient à porter un jugement plus équilibré sur Descartes sur la modernité et sur la malgachéité qui étaient le sujet de notre rencontre à Fianarantsoa.
Descartes n'avait pas que des côtés positifs. Il n'avait pas seulement apporté le "Discours de la méthode", il avait également opéré une première réduction de la connaissance. Et on pouvait même caractériser les quatre siècles de l'Histoire de la pensée entre 1600 et 1993 par ce manque d'équilibre, par cette réduction naturaliste.
Après avoir contesté ainsi la Modernité, nous pouvions essayer de découvrir les aspects positifs et négatifs des Traditions ancestrales de Madagascar ou d'ailleurs. Toute culture nationale ou étrangère, ancienne ou moderne, celle des érudits ou celle des illettrés nous apparaissant comme ayant des aspects positifs et des aspects négatifs.

RÉDUCTIONS NATURALISTES ET SURNATURALISTES
L'aspect négatif de la majorité des philosophes européens de la Troisième période c'est donc qu'ils réduisent la complexité du réel à un seul aspect alors que les sagesses asiatiques et africaines sont plus équilibrées, plus intuitives. Elles se prêtent moins à l'exposé didactique et sont donc trop méconnues.
En schématisant à l'extrême jusqu'à la caricature mais pour aider une première mémorisation on peut choisir dix noms avec l'aspect auquel la réalité est réduite.
        - Pour Descartes tout se réduit aux mathématiques.
        - Pour Kant à la physique et au devoir.
        - Pour Hegel à l'Histoire collective de l'Humanité.
        - Pour Marx, l'homme se réduit à son travail, à l'économie.
        - Pour Lénine qui trahit Marx, il n'y a plus que la lutte politique.
        - Pour Nietzsche, c'est la création artistique par laquelle l'homme peut devenir un dieu et écraser les autres.
        - Comte ne connaît que la Science.
        - Darwin explique tout par l'Évolution.
        - Sartre fait de l'homme une liberté arbitraire.
        - A l'opposé Lévi-Strauss réduit l'homme à un produit par la culture.

Ces diverses réductions se disqualifient les unes les autres et elles ont en commun de refuser toute Révélation Surnaturelle.
Par réaction, Pascal et Kierkegaard surtout succombent peut-être à la réduction inverse, la réduction surnaturaliste qui consiste à minimiser les possibilités naturelles de l'homme et à dire qu'il n'y a rien de valable en dehors de la foi (ce qu'on appelle le fidéisme). (voir PC1 deux excès et PC2 rejeter le fidéisme)

PLURALISME OU CACOPHONIE ?
La deuxième partie du titre général de cette Troisième Période caractérise le monde contemporain par le mot PLURALISME (voir TP12).
Cependant, plusieurs mois de séjour en Europe me font penser que si la pluralité ou même la multiplicité des opinions présentées est indiscutable, elle n'entraîne pas assez de dialogues attentifs mais une cacophonie qui provoque le désarroi.
Plus que jamais, une présentation des diverses croyances, des diverses philosophies, et de la théologie chrétienne, adaptée aux divers publics doit être proposée.
Les chapitres qui suivent sont un regard parmi d'autres sur les philosophies modernes et contemporaines.

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